Enquête
À chaque animal sa stratégie pour résister à l’hiver

Ils hibernent, changent de couleur, adaptent leur régime alimentaire, exploitent le moindre rayon de soleil ou construisent des igloos dans la neige... Les animaux des Alpes rivalisent d’astuces lorsque l’hiver arrive.

À chaque animal sa stratégie pour résister à l’hiver

Cette fois ça y est, l’hiver démarre. Mais tandis que les humains se réjouissent de voir les premières neiges saupoudrer les sommets, pour les animaux sauvages, c’est une saison dangereuse qui s’annonce. «On pense souvent que c’est le froid qui représente le principal risque pour la faune, note le biologiste valaisan François Biollaz. Mais si cette période est délicate, c’est surtout parce qu’elle est synonyme de raréfaction de la nourriture pour bien des espèces.» Il y a ceux qui partent, comme les oiseaux qui migrent vers le sud pour trouver des insectes en suffisance, et il y a ceux qui restent. Pour ces derniers, les défis sont nombreux. Disponibilité réduite des sources de subsistance, mais aussi températures en baisse, neige qui entrave les déplacements ou rend soudain un animal particulièrement visible pour ses prédateurs: les dangers de l’hiver incitent à multiplier les stratégies pour passer le cap sans encombre. En voici quelques-unes.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): DR

Six espèces, six techniques originales

Piquer un somme
«Qui dort dîne»: c’est comme si le proverbe avait été inventé pour les animaux qui passent l’hiver dans une profonde léthargie, en hibernant. De nombreuses espèces, tels la marmotte,
le hérisson ou certaines chauves-souris, optent pour cette méthode qui règle une bonne fois pour toutes le problème de l’approvisionnement pendant l’hiver. Reste à faire des réserves de graisse durant l’automne, à aménager un coin douillet puis à mettre son organisme en pause: chez la marmotte, la température corporelle chute à 5 ou 6°C et le rythme cardiaque ralentit. «Les animaux qui hibernent se réveillent quelques fois durant l’hiver, précise François Biollaz. Ils en profitent pour boire ou faire leurs besoins, avant de se rendormir.»


Changer de tenue
La neige, c’est beau. Mais quand on a le pelage optimal pour se fondre dans un paysage fait d’herbe et de rocaille, on constitue une cible facile dès les premiers jours de l’hiver. La parade? Changer de couleur, pardi! C’est la technique du lièvre variable, troquant sa tenue gris-brun estivale contre un manteau blanc qui lui permet de passer totalement inaperçu dans la neige. Même technique pour le lagopède alpin, seul oiseau de Suisse à vivre toute l’année au-dessus de la limite supérieure des arbres. Parfaitement camouflées, ces deux espèces sont quasi invisibles pour leurs prédateurs – l’aigle royal en est le principal représentant – lorsqu’elles restent immobiles sous un repli neigeux ou contre une paroi rocheuse.


Ralentir le rythme
On peut s’endormir, mais on peut aussi simplement ralentir son métabolisme pour diminuer ses besoins en nourriture, comme le cerf. «Il bouge beaucoup moins en hiver, dit François Biollaz. Même en cas de menace, il fuit moins vite.» Le moindre dérangement peut coûter cher à l’animal, qui puise alors dans ses réserves pour s’éloigner. L’écureuil roux adapte également son comportement pendant l’hiver, ne rechignant pas à sortir dans la neige mais limitant son activité lors des périodes de grand froid. Quant à la problématique de la nourriture, le petit rongeur y répond en faisant des réserves de graines, de glands et autres insectes qu’il retrouve – mais pas toujours! – lorsque la faim se fait sentir.


Se tenir au chaud
Tandis que certaines livrées changent de couleur, d’autres deviennent simplement plus chaudes ou plus adaptées aux conditions difficiles. Le poil ou le plumage de certaines espèces devient ainsi plus épais, mais ce n’est pas tout. «Vous avez peut-être déjà remarqué que les chamois sont plus sombres en hiver. Si cela les rend plus visibles, cela permet surtout à leur robe noire de capter la chaleur au moindre rayon de soleil.» Mais au chapitre des transformations en toute discrétion, la palme revient sans doute à la musaraigne: pour réduire ses besoins en énergie, le volume de sa boîte crânienne et de certains de ses organes se réduit temporairement. C’est ce que l’on appelle le phénomène de Dehnel.


Construire un igloo
Qui a dit que la neige était froide? Pour un tétras-lyre, il s’agit surtout d’un formidable matériau d’isolation: cet oiseau alpin s’y aménage un abri dans lequel la température se stabilise et ne descend jamais sous la barre du 0°C. Un igloo parfait pour ses phases de repos. Même technique chez le campagnol, qui passe l’hiver à la limite entre le manteau neigeux et le sol, ainsi qu’en témoignent les galeries à ciel ouvert qui apparaissent au printemps. «Cela dit, la technique ne fonctionne que si la neige est suffisamment abondante, précise François Biollaz. De faibles précipitations ou des températures trop hautes sont problématiques.» Attendre la neige pour avoir chaud, voilà qui est plutôt paradoxal, non?


Revoir son régime
Que faire lorsque l’on ne parvient pas à trouver sa nourriture habituelle? Changer de menu! Si les températures extrêmes ne font pas peur aux rapaces alpins, dont l’organisme est suffisamment résistant pour supporter l’hiver sous nos latitudes, il peut arriver que ces chasseurs peinent à dénicher suffisamment de proies. «Dans ces conditions,
il n’est pas rare que l’on observe un aigle royal ou une buse variable adopter un comportement charognard pour la durée de la saison froide, note François Biollaz. D’autant qu’à cette période, ils trouvent facilement des cadavres d’animaux en montagne.» Autant dire qu’au plus fort de l’hiver, dans les Alpes, le malheur des uns fait le bonheur des autres…

La tranquillité, gage de survie

Avec le développement des sports de neige et de la randonnée à ski ou à raquettes, la montagne est toujours plus fréquentée. Or, déranger un animal dont l’organisme est ralenti pour réduire au minimum ses besoins en nourriture ou plongé dans une phase d’hibernation peut avoir des conséquences dramatiques: cela le force à utiliser de précieuses ressources pour faire remonter sa température corporelle, voire pour fuir. C’est pour offrir à la faune sauvage des secteurs de repli préservés de tout passage que la Confédération a mis en place les zones de tranquillité. Aujourd’hui, il y en a plus de mille d’un bout à l’autre du pays, signalées par un balisage spécial. L’Office fédéral de l’environnement et l’Institut de recherche sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) mènent des opérations de sensibilisation auprès du grand public, en collaboration avec les services cantonaux. Quant aux contrevenants, ils sont amendables.
+ D’infos www.zones-de-tranquillite.ch