Reportage
À 90 ans, l’association vaudoise des paysannes a des projets à revendre

Fondée en 1931 pour favoriser la vente directe des produits de la ferme et ainsi fournir un revenu direct aux femmes, l’Association des paysannes vaudoises prend toujours une part active à la promotion du monde agricole.

À 90 ans, l’association vaudoise des paysannes a des projets à revendre

Entre 1914 et 1918, les femmes du monde rural suisse ont prouvé qu’elles étaient capables de gérer seules une exploitation agricole. Forte de la démonstration et souhaitant défendre les intérêts de ses collègues agricultrices desservant le marché local, Augusta Gillabert-Randin fonde l’Association des productrices de Moudon. Cette innovation féministe avant l’heure fait florès; en 1931, elle donne naissance à l’Association des paysannes vaudoises (APV), dont la bouillonnante pionnière sera la première présidente.

«Dès le début, la mise en valeur des produits et le développement de la vente directe ont été un objectif essentiel de notre association», souligne Mireille Ducret, qui la préside depuis 2020. À l’instar de toutes celles qui l’ont précédée à cette fonction et des milliers de paysannes qui animent l’APV depuis neuf décennies, l’agricultrice d’Écublens est à la fois au four et au moulin, ou plutôt à la ferme et à la cuisine. Et comme nombre de ses collègues passées et présentes, elle a suivi un itinéraire bien balisé: une famille paysanne, une jeunesse… à la Jeunesse locale, un mariage avec un agriculteur et l’adhésion à l’APV sur la lancée. Dans son cas particulier, il faut glisser dans ce cursus vingt ans d’enseignement dans le secondaire inférieur. Cette passion pour la pédagogie s’est calée dans son engagement. «Partager le monde rural, l’expliquer et le faire perdurer auprès des milieux citadins, créer des liens entre ces deux univers a toujours été notre vision. Aujourd’hui plus que jamais, car ceux qui ont encore un parent proche vivant de la terre sont devenus l’exception, contrairement à il y a seulement cinquante ans.»

Le savoir-faire des paysannes

Les productions gourmandes des paysannes ont servi de socle à cette volonté, plutôt qu’au développement d’un modèle commercial; le service traiteur créé il y a une dizaine d’années a ainsi été externalisé, victime de son grand succès et peu soluble dans un bénévolat inscrit dans les gènes de l’APV. «La cuisine, la pâtisserie, la confiserie sont la vitrine du savoir-faire de la paysanne», acquiesce Antoinette Gavillet, qui a présidé l’association de 1998 à 2006. Comme Mireille Ducret, elle a également enseigné avant de se consacrer au domaine familial de Peney-le-Jorat. Retraitée, elle a côtoyé l’actuelle présidente durant les nombreuses activités de l’APV: des cours de formation divers allant de la cuisine à la création manuelle en passant par le jardinage ou l’informatique, des sorties et des excursions qui ont longtemps été le seul bol d’air de femmes pour lesquelles les vacances étaient un luxe impossible – et bien sûr l’Amicale, le grand ressat annuel avec repas-spectacle sous cantine.

Des liens organiques actuellement perturbés par le coronavirus; mais la pandémie a d’ailleurs contribué à engager les Paysannes vaudoises dans une communication moderne via l’internet et les réseaux sociaux, souligne Mireille Ducret. La convivialité favorise le rapprochement des adhérentes, à la fois générationnel, géographique et professionnel. «Une nécessité dans un canton où les préoccupations d’une productrice laitière du Pays-d’Enhaut diffèrent de celles d’une arboricultrice de Perroy», remarque la présidente. Cette solidarité a trouvé une concrétisation formelle dans la création du Service rural d’entraide (devenu Terremploi et géré en collaboration avec Prométerre), qui fournit une aide en cas de besoin pour les tâches ménagères courantes.

Solidarité féminine

«Le soutien transversal aux femmes a reçu un nouvel élan avec l’arrivée d’Anne Challandes à la tête de l’Union suisse des paysannes et femmes rurales (ndlr: USPF, la faîtière de toutes les associations cantonales de paysannes), salue Mireille Ducret. La protection du revenu des femmes de l’exploitation était au premier plan de l’engagement de la fondatrice de l’APV.»

Pour autant, l’APV reste statutairement apolitique. «Mais on émet des prises de position et des recommandations liées aux votations qui concernent le monde agricole, précise la présidente. Les «Abeilles» – un surnom aux racines évidentes, qui trouve son répondant graphique dans le logo de toutes les associations cantonales – n’hésitent pas à se faire entendre lorsqu’elles l’estiment nécessaire. «En 1998, avant le scrutin sur l’initiative Baumann-Denner qui voulait faire des agriculteurs des salariés de la Confédération, on est descendues en ville distribuer des bouquets de blé et des cabas», se souvient Antoinette Gavillet avec amusement.

Dans le contexte actuel, qui voit le monde rural attendre avec anxiété le vote de juin sur les initiatives phytosanitaires, on peut penser que les Paysannes vaudoises sauront se profiler dans le débat, à leur manière souriante, élégante et volontiers gastronomique. «On a une agriculture vaudoise très riche, qui doit continuer à vivre et se faire connaître, observe Mireille Ducret. Cela dit, il n’est pas facile de recruter de jeunes membres.» De fait, en quinze ans, le rucher est passé de 9000 à 4500 abeilles. «Aujourd’hui, les agricultrices ont souvent des activités externes au domaine et manquent de temps, regrette Antoinette Gavillet. À mon sens, elles ne sont pas assez fières de leur nom de paysannes et du rôle qu’elles jouent dans la société.»

«Il faut conserver ce lien entre générations, cette solidarité et cet esprit de défense de notre monde, conclut Mireille Ducret. Car c’est sans doute un élément qui prendra de plus en plus d’importance dans les années à venir.»

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Dom Smaz

Un nouveau classeur de recettes

«On voulait profiter de cet anniversaire pour mettre sur pied une action promotionnelle correspondant à l’objectif initial de l’association, qui est de valoriser les produits de la ferme, raconte Mireille Ducret. L’idée d’un nouveau classeur de recettes s’est imposée, l’ancien ayant déjà quinze ans.» Résultat de deux ans de travail, la nouvelle édition paraîtra en septembre; cette fois, il sera distribué à un large public, pas seulement aux membres de l’association. Son contenu se concentre toujours sur les produits non transformés; parmi les 200 propositions explicitées pas à pas figurent certaines recettes incontournables, mais également 73 coups de cœur sélectionnés chacun par un des groupes régionaux. Et surtout, le concept a évolué, pas seulement parce qu’on y trouve désormais de nombreuses photos: «Mais aussi parce que les techniques et les bases nutritionnelles ont beaucoup changé, explique la présidente. On a donc fait une large place à la cuisson au four-vapeur, aux préparations au robot ménager et à l’utilisation d’applications sur smartphone.» Autre nouveauté: la valorisation des restes. «Ce que la génération précédente n’aurait sans doute pas osé faire», note Mireille Ducret. Une chose demeure dans cet ouvrage destiné à s’inscrire dans la durée: le fameux classeur. «La formule est idéale pour y ajouter petit à petit d’autres recettes, et c’est une icône des paysannes vaudoises.»
+ D’infos Le site internet de l’APV regorde d’idées gourmandes: paysannesvaudoises.ch/recette

En chiffres

L’APV, c’est…

  • 5300 membres dans tout le canton, exploitantes ou actives dans le monde rural.
  • 73 groupes régionaux.
  • 10 régions représentées au comité.
  • 5 commissions thématiques: culinaire, créatrice, exploitantes, promotion et communication, activités et loisirs.
  • 1 comité de 12 responsables régionales, 1 administratrice, 1 présidente.
  • 1 service d’entraide (TerrEmploi) et 1 service traiteur (Terre Vaudoise).
  • 1 journal semestriel, La Feuille de Choux.

+ D’infos paysannesvaudoises.ch