Reportage
Le hang bernois se vend aux quatre coins du monde

Depuis trente ans, Felix Rohner et Sabina Schärer créent des instruments au son unique. Si le plus célèbre, le hang sculpture, est désormais copié à l’étranger, le couple lutte pour perpétuer cet artisanat en famille.

Le hang bernois se vend aux quatre coins du monde
Rares sont les gens à pénétrer dans l’atelier de Felix Rohner et Sabina Schärer. Si les deux facteurs d’instruments reçoivent ponctuellement quelques clients passionnés et une poignée de journalistes, ils tiennent avant tout à conserver leur tranquillité. Et pour cause: une de leurs premières créations, le hang sculpture, est victime de son succès. Commercialisée il y a vingt ans, cette soucoupe métallique au son si particulier séduit des milliers de personnes dans le monde, à tel point que des contrefaçons ont inondé le marché ces dernières années. Pour se préserver, le couple a limité sa production et perpétue en famille cet artisanat d’art unique, fruit d’une longue réflexion entre musique et spiritualité.
Tout a commencé en 1976, lorsque Felix Rohner, alors enseignant, entend pour la première fois le son du steel-drum, un tambour caribéen originellement fabriqué avec des fûts de pétrole. «J’ai été bouleversé par l’énergie et la liberté qui s’en dégageaient. Dans ces îles, c’est un symbole d’indépendance et d’unité, devenu populaire avec l’abolition de l’esclavage. Le lendemain, j’ai essayé d’en fabriquer un avec de vieux bidons», raconte-t-il. Après plusieurs années d’expérimentations, il fonde l’entreprise PANArt, à Berne, et est rejoint par sa compagne, Sabina. Ensemble, ils planchent sur une nouvelle technique de revêtement métallique. «À l’aide de physiciens spécialistes de l’acoustique, nous avons renforcé la tôle et façonné un nouveau type de résonance, plus chaleureuse et harmonique. Le hang sculpture était né.»
Sculpter sa propre musique

Dans un coin de l’atelier, au bord de l’Aar, l’un de ses deux fils s’applique justement à en construire un, en modelant une pièce en acier. À l’aide d’un marteau, il déforme la tôle en dessinant des creux et des bosses régulières. «La particularité du hang est qu’il ne produit pas de notes, mais de riches vibrations. Toute la structure est accordée sur 440 hertz. Nous parlons donc de sculpture sonore plutôt que d’instrument. Chaque touché est unique», explique David, 28 ans, en précisant que l’acoustique des cloches de vache a aussi été étudiée pour obtenir la forme adéquate.
En plus d’épouser la main humaine et de favoriser la connexion entre le corps et l’énergie sonore, le hang permet de libérer son utilisateur des performances liées à la pratique d’un instrument, assurent les artisans. «Contrairement au milieu souvent élitiste de la musique, il n’y a pas de règles strictes à suivre ici. Tout le monde peut en jouer, peu importent ses connaissances en solfège, ses origines ou son milieu social, tient à souligner Felix Rohner, ancien joueur de flûte et de piano. Il s’agit de trouver sa propre musique intérieure. C’est un outil créatif, méditatif et spirituel, ce qui peut expliquer son succès.»
Si les Bernois ont d’abord vendu leurs instruments en magasin, l’explosion de la demande internationale les a rapidement contraints à limiter leur clientèle, qu’ils reçoivent aujourd’hui uniquement dans leur atelier. Dans un placard, ils ont soigneusement conservé quelque 20000 lettres manuscrites que des fans leur ont envoyées ces dernières années. Parmi eux, des musiciens de tout genre, mais aussi des politiciens, médecins, détenus ou personnes ayant subi un traumatisme grave. «Le hang peut avoir un effet relaxant. La pression artérielle descend, les douleurs s’atténuent. Beaucoup de gens sont devenus accros. C’est comme une drogue!» assure le mélomane, en entamant une douce mélodie du bout des doigts.
Contrefaçons industrielles
Le phénomène de mode est vite devenu incontrôlable. Peu à peu, quelque 300 entreprises – dont environ six en Suisse – se sont lancées dans des contrefaçons parfois industrielles, de mauvaise qualité et plus chères que les originaux, PANart n’ayant pas déposé de brevet. Sur internet, des cours en ligne et des partitions se sont mis à circuler. «Les joueurs se sont réunis en communauté, ce qui est à l’opposé de notre philosophie. Le hang s’est standardisé, au détriment de la créativité», regrette le couple, qui est actuellement en pleine bataille juridique pour revendiquer ses droits d’auteur.
En attendant, ils tiennent à conserver une production artisanale, «à échelle humaine», et à faire connaître davantage leur philosophie. «Nous fabriquons près de 400 instruments par an, ce qui nous permet de vivre, mais nous ne voulons pas satisfaire le marché», déclarent-ils. Ces dernières années, une dizaine d’autres modèles en plus du hang sculpture ont été inventés (voir l’encadré). Et à chaque fois qu’un nouveau client prend rendez-vous pour s’en procurer, la petite équipe ne se contente pas de lui servir le café. Sur les canapés intimistes de l’atelier, elle l’invite longuement à jouer et à discuter, pour trouver le modèle idéal qui saura le combler. «Si rien ne convient, nous ne forçons jamais la main. Notre but est que chacun reparte avec exactement ce qu’il lui manquait.»
Vous voulez en savoir plus sur le hang? Découvrez un épisode dédié à cet instrument dans notre podcast sur les musiques suisses, Clé de sol.
Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Jean-Paul Guinnard

De la méditation à la fête des vignerons

En Suisse, les instruments de l’atelier PANArt ont de nombreux adeptes, qui en jouent dans différents contextes. À l’image de Severin Berz, à Vevey (VD), qui organise des ateliers de méditation au son du hang depuis 2005. «J’en joue pendant quarante minutes, en faisant un rythme continu avec une main et des envolées mélodiques de l’autre. L’audience est captivée», raconte-t-il. En Gruyère, Jeff Widmer a fondé le Gu’Band il y a quatre ans, dans lequel il invite différents joueurs à improviser lors de concerts. «Le hang permet d’apprendre à s’écouter et à évoluer ensemble. C’est une vraie expérience collective, où l’on ne juge personne», relève le musicien fribourgeois. Enfin, le compositeur et batteur de jazz Jérôme Berney a composé différentes pièces pour hang et voix, notamment pour la Fête des vignerons, l’année dernière. «C’était l’occasion idéale pour faire connaître un nouvel instrument suisse, ce qui est rare. Cela a permis de mettre en lien nos traditions et l’évolution de la musique. C’est un beau symbole.» Ailleurs dans le monde, plusieurs groupes se sont également appropriés le son du hang ces dernières années, à l’image du duo anglo-suédois Hang Massive, qui donne des concerts dans toute l’Europe.