Viticulture
Le sol, un facteur clé à ne pas négliger

L’environnement était au cœur du 42e congrès de l’OIV, la semaine dernière. Mais une viticulture «propre» reste une équation difficile à résoudre, souligne Hans Reiner Schultz, un des spécialistes invités à Genève.

Le sol, un facteur clé à ne pas négliger

La viticulture a beau ne représenter qu’un pourcentage modeste de la production alimentaire mondiale, elle a sa part de responsabilité dans le problème climatique et détient un potentiel considérable d’amélioration de son impact», dit en substance Hans Reiner Schultz, président du groupe d’experts Environnement de l’Organisation mondiale de la vigne et du vin (OIV) et président de l’Université de Geisenheim, en Allemagne, où il enseigne en tant que professeur. Un message qu’il a décliné en ouverture du 42e congrès international de l’organisation, dans un exposé au titre annonçant la couleur: «Gérer les intrants, une équation aux variables trop nombreuses?» Communication plutôt dense, qui valait bien un coup de fil au chercheur allemand.

Optimiser le stockage de CO2
«Le sol est le facteur climatique le plus sous-estimé de cette équation, commente ce dernier dans un français parfait (il enseigne également à Montpellier). Sa capacité de stockage du CO2 est évaluée à 1,5 à 2,5 milliards de tonnes, soit plus que celles de l’atmosphère et des plantes cumulées. On peut extrapoler celle des sols viticoles à 10-12 millions de tonnes de CO2 par an.» Le problème, c’est que ces terres sont souvent nues, sans protection face au réchauffement. «À une profondeur de 50 cm, la température du sol se réchauffe selon une courbe parallèle à celle de l’air, accélérant l’évaporation des gaz à effet de serre, poursuit-il. Par rapport à 1980, 2,5 tonnes de CO2 de plus s’échappent ainsi chaque année dans l’atmosphère.»
L’humidité joue également un grand rôle. «Lorsqu’une période de fortes précipitations suit une sécheresse, il se produit un pic de libération des gaz à effet de serre», illustre le scientifique. Or, de tels épisodes vont vraisemblablement se produire plus fréquemment à moyen terme. Autre souci: les modifications de la chimie du sol risquent fort de booster l’expression génétique des ravageurs de la vigne. Une expérience menée en milieu clos à Geisenheim montre qu’en 2050, le ver de la grappe pourrait bien faire une génération de plus par année. «Si on veut continuer à utiliser la confusion sexuelle comme moyen de lutte, il faudra plancher sur des produits à plus longue durée de vie», avertit Hans Reiner Schultz.
Bref, les sols viticoles nus vont être de plus en plus problématiques. L’enherbement est certes à la fois susceptible d’augmenter considérablement leurs capacités de stockage de CO2 et de réduire sa libération dans l’air. Mais se pose alors, avec plus d’acuité encore, la question de la disponibilité de l’eau, d’autant que 40% de la production alimentaire mondiale dépend de l’irrigation. «On va devoir apprendre à se passer de celle-ci en viticulture», estime le scientifique.

Revoir les porte-greffes
Une piste à explorer sérieusement est celle des porte-greffes, à même d’apporter une solution au moins partielle au problème hydrique – mais aussi à celui de la protection phytosanitaire (en Europe, la viticulture représente 2% des surfaces cultivées, mais consomme 64% des fongicides utilisés en agriculture). «On a recours aujourd’hui à des porte-greffes sélectionnés il y a cent vingt ans en fonction de critères de productivité et de résistance. Mais il reste toute une base de biodiversité à disposition pour créer des variétés répondant aux défis actuels: résistantes aux maladies, mais aussi à la sécheresse, avec des systèmes racinaires plus profonds, etc.» Même s’il est bien placé pour savoir que de telles recherches sont longues, coûteuses, frustrantes pour des scientifiques contraints à des publications à rythme soutenu et peu séduisantes pour le privé, Hans Reiner Schultz en est convaincu: « Il faut retourner dans les régions de collecte, refaire une grande récolte de graines et démarrer des sélections.»
Face à l’enjeu et à sa complexité, toutes les initiatives sont bonnes à prendre. Mais surtout, les professionnels de la vigne et du vin doivent s’engager dans une action systémique et organisée. «Nous devons créer des groupes d’experts ciblés sur les problématiques climatiques, région par région. On dispose d’informations de partout, mais il faudrait rendre plus accessibles les données spécifiques au contexte viticole. Ce qu’on peut entreprendre en Espagne n’est pas ce qu’il faut faire en France, ou sur les vignobles de Lavaux, en forte pente. Il s’agit de créer un système de guides de travail pour chaque région.» L’enjeu est de taille: sauver la planète. Or, c’est la seule où l’on fait du vin, conclut le chercheur.

+ D’infos oiv2019.ch/2019/fr/session-commune

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): DR

La vigne et le vin dans le monde

Superficie viticole totale:

  • 7,4 millions d’hectares.
  • Production annuelle de raisin: 78 millions de tonnes.
  • Production annuelle de vin: 292 millions d’hectolitres.
  • Consommation annuelle de vin: 246 millions d’hectolitres.
  • L’Organisation mondiale de la vigne et du vin (OIV) est active dans les domaines scientifiques et techniques sur l’ensemble de la filière viticole, et regroupe 47 pays. La Suisse est membre depuis 1934.+ D’infos www.oiv.int