Nature
Le salut des faons dissimulés dans les prairies vient peut-être du ciel

De plus en plus de drones sont utilisés pour survoler les prés devant être fauchés. Ils permettent de débusquer, grâce à une caméra thermique, les petits chevreuils cachés dans l’herbe et de leur sauver la vie.

Le salut des faons dissimulés dans les prairies vient peut-être du ciel

En quelques secondes et en un coup de vent, le voici à plus de 100 mètres du sol. Il ne lui faut qu’un peu plus de quatre minutes pour survoler les 15 hectares d’une prairie à Mies (VD), traversant le ciel parfois à plus de 70 km/h. «L’an dernier, nous étions sept et il nous avait fallu deux heures pour parcourir le même champ», se rappelle Raymond Bourguignon, membre du comité de la Fédération des sections vaudoises de la Diana (FSVD). Mais ce printemps, la tâche des chasseurs du district de Nyon sera moins rude: plus besoin de marcher des heures dans l’herbe haute pour débusquer les faons venus s’y cacher, comme cela se pratique encore dans la plupart des cantons. Dans leur secteur, ils peuvent désormais compter sur un allié très efficace, un drone équipé d’une caméra thermique. «Nous pouvons faire appel à trois pilotes dans la région, explique Raymond Bourguignon. Leur appareil permet de repérer les faons couchés dans les prés depuis le ciel. On va ensuite les chercher pour les mettre en sécurité.» Ces prochaines semaines, il s’attend à ce que son téléphone sonne souvent.

Opérations ciblées
De la mi-mai à la mi-juin, date à laquelle les agriculteurs fauchent leur champ, des milliers de faons rencontrent la grande faucheuse plus rapidement que prévu. Le combat est inégal. Ces nouveau-nés, restant tapis dans les hautes herbes ou faisant les morts pour ne pas se faire remarquer, n’ont pas le réflexe de fuir pour sauver leur peau. Bastien Wahlen, agriculteur à Gland (VD), en a fait l’expérience: «Quand on en blesse un, ça vous marque. Je ne veux plus jamais vivre ça.» Alors quand les chasseurs l’ont contacté pour rappeler aux agriculteurs d’ausculter leurs prés avant les foins, il a décidé de mettre sa machine au service de ses collègues. «Le service est gratuit, la FSVD se charge de dédommager les pilotes, poursuit Raymond Bourguignon, qui joue le rôle d’intermédiaire entre ces deux acteurs. Nous voulons en revanche avoir des statistiques en retour, afin de mesurer la fiabilité de ce système.»
En vol, le quadricoptère, programmé pour quadriller une zone bien précise, transmet en direct les images filmées. Pour éviter les accidents, les aéroports et aérodromes se trouvant dans un rayon de 5 kilomètres sont avertis de sa présence. Sur l’écran de sa tablette, Bastien Wahlen cherche les points chauds tôt le matin, quand le sol est encore frais. Ils y apparaissent en jaune pétant. Ne reste alors plus qu’à faire un vol stationnaire au-dessus de l’animal ou transmettre les coordonnées GPS aux chasseurs, qui iront le secourir.

Des tests officiels
L’opération ne dure que quelques minutes et l’herbe est beaucoup moins piétinée qu’auparavant. «Trouver un faon que l’on peut sauver me procure autant d’émotion que de prélever un chevreuil pendant la période de la chasse. Ce n’est jamais un acte banal», souligne Raymond Bourguignon. Les chasseurs vaudois ne sont pas les seuls à miser sur cette technologie. Depuis 2012, la Haute École des sciences
agronomiques, forestières et alimentaires (HALF) de Zollikofen (BE) et l’Office fédéral de l’environnement, notamment, planchent sur le projet «Sauvetage des ­faons», testant diverses techniques pour leur éviter une mort atroce. Car pour l’heure, les méthodes appliquées dans la majorité des cas ressemblent plutôt à du système D. «On fait la liste des paysans de notre région et on les appelle juste avant la période des naissances, note Raymond Bourguignon. Mais cela ne fonctionne pas toujours.»
Aucune loi ne les force en effet à contrôler leurs prés avant de couper l’herbe. Souvent la météo détermine le moment de la fauche. Tout va alors très vite et il est parfois compliqué de trouver des chasseurs prêts à agir dans un court laps de temps. D’autant plus que si, avec un drone, le survol des parcelles ne dure que quelques minutes, à l’ancienne, comme cela se pratique dans la plupart des cantons, c’est une autre paire de manches. «Quand l’agriculteur nous avertit à l’avance, idéalement cinq jours avant, on vient à pied dans le pré avec nos chiens, on fait du bruit pour voir si une chevrette s’enfuit, signe qu’il y a sûrement un faon dans les parages, explique Daniel Cherbuin, chasseur dans la Broye vaudoise. Ensuite nous quadrillons la parcelle, c’est pénible et difficile de les trouver.» Il n’est pas rare que des paysans mettent une radio dans un champ la veille, placent des morceaux d’aluminium ou de tissu claquant au vent pour effrayer les mères et leur progéniture.

Qualité du fourrage altérée
Cette tâche, fastidieuse, est efficace dans la moitié des cas, la réussite des drones frôlant les 100%. Ils représentent une solution fiable, mais chère, le matériel coûtant des milliers de francs, sans compter les heures nécessaires à son bon maniement. Tous les acteurs espèrent donc à terme trouver une source de financement pour étendre cette offre à travers le pays. «Ce système n’en est pas encore au stade où on peut l’utiliser comme une méthode standard, commente Sandra Helfenstein, de l’Union suisse des paysans. Nous sommes en contact avec la HAFL et suivrons de près ses résultats.» Car hors le côté éthique de la démarche, tuer un faon pendant les foins peut être très problématique pour les agriculteurs, rappelle-t-elle. Le bétail peut par exemple être infecté par le botulisme, son cadavre ayant contaminé le foin. «Cela menace la qualité du fourrage. Il n’existe pas une loi, mais des recommandations générales pour les paysans. On leur conseille toujours de prendre des mesures, surtout dans les prairies situées près d’une forêt.»

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Guillaume Mégevand/Daniel Cherbuin

Que faire si on trouve un faon?

Pour protéger son petit, la chevrette met bas dans les prairies, loin des prédateurs vivant dans la forêt. À leur naissance, les faons n’ont aucune odeur, ce qui complique leur recherche, même à l’aide de chiens de chasse. Si vous en voyez un dans un pré devant être fauché, il ne faut surtout pas le toucher à mains nues. Vous risquerez de changer son odeur et sa mère, qui n’est en général jamais loin, pourrait ne plus vouloir s’en occuper. Il faut appeler le garde-faune du secteur dans lequel vous vous trouvez, un paysan ou un membre de la société de chasse locale, chargée de veiller sur leur survie. «Quand on en voit un, on ne le porte qu’avec des gants, détaille Raymond Bourguignon. On prend des poignées d’herbe pour l’envelopper puis on le replace dans un pré qui ne sera pas fauché ou à l’orée de la forêt, en sécurité.»

En chiffres

La fauche dans les prés, c’est:
Jusqu’à 3100 faons tués de la mi-mai à la mi-juin dans le pays selon la Haute École des sciences agronomiques, forestières et alimentaires.
37 degrés, la chaleur de ces nouveau-nés.
100 mètres du sol, telle est la hauteur de survol des champs par un drone.
Il faut moins de minutes pour inspecter une prairie de 15 hectares, par exemple.