Insolite
«Terre&Nature» est allé à la cueillette des escargots dans le Nord vaudois

Depuis six ans, Eddy Redard débusque 
de gros escargots 
de Bourgogne 
dans les bois et les 
broussailles vaudoises, avant de les déguster en famille. Reportage sous la pluie, non loin du village de Juriens.

«Terre&Nature» est allé à la cueillette des escargots dans le Nord vaudois

Ce matin, une pluie fine tombe sans discontinuer dans le Jura vaudois, partiellement nimbé de brouillard. Un temps à rester au lit pour beaucoup, mais pas pour Eddy Redard. À ses yeux, la météo est parfaite. «C’est un temps à escargots!» sourit le fonctionnaire de 56 ans. Ce matin-là, bottes de pluie aux pieds, pèlerine et chapeau de feutre noir, il part d’un pas décidé ausculter les bords d’un chemin forestier. Dans son viseur, point de chevreuil. Ce qu’il recherche, ce sont de dodus escargots de Bourgogne s’éveillant à peine dans la fraîcheur matinale entre Juriens et Romainmôtier. «Vous voyez ces orties? Je suis sûr qu’il y en a dedans, c’est typique», lance-t-il en foulant les hautes herbes du pied.
Les précipitations de la nuit précédente ont poussé les gastéropodes à sortir de leur coquille pour s’aventurer le long des sentiers, à la recherche de la lumière. Mais parfois, leur virée tourne court, Eddy Redard les remarque, même de loin. «Ils sont malins et plus rapides qu’on ne le pense quand le sol est humide, ce qui leur permet de glisser, explique ce passionné de nature, qui a même testé la célérité de ses prises dans sa maison, par curiosité. Au soleil levant, on les trouve souvent sur le même côté de la route, puis ils se déplacent, toujours vers les endroits clairs mais pas en pleine lumière, évidemment.»

Récolte réglementée
Voilà déjà six ans qu’il chasse les escargots, seul ou avec un ami, dans le canton de Vaud, en toute discrétion. «Comme on sort quand il pleut, on croise rarement des promeneurs, sourit Eddy Redard. En revanche, on voit beaucoup d’animaux, des chevreuils notamment, j’aime ces moments de tranquillité, où on ne voit pas le temps passer, ni les kilomètres parcourus.» Avant de partir à la recherche de ces mollusques, il a dû demander un permis au canton, valable un an, comme tous les adeptes de la chasse, quelle que soit leur cible.
Dans le canton de Vaud, près de septante personnes ont demandé ce sésame en 2015, un chiffre stable ces dernières années. Comme toute partie de chasse, il y a des règles, des contrôles inopinés sont effectués par des gardes-faunes et le braconnage de ces animaux sauvages est bien évidemment puni.

Un anneau pour les mesurer
Pour assurer le renouvellement des escargots de Bourgogne, reconnaissables à leur coquille allant du blanc au fauve, les chasseurs ne peuvent prélever que les spécimens avec une coquille de plus de 35 mm de diamètre, une dimension minimum qu’Eddy Redard a maintenant dans l’œil. En cas de doute, il saisit l’anneau métallique accroché à l’anse de son seau pour les mesurer. Trop petits, ils sont relâchés sans être abîmés, les autres sont mis dans le bidon, leur coquille faisant un «poc!» sonore en en touchant le fond. Le premier gastéropode ne reste pas seul longtemps dans le seau. Il est rapidement rejoint par d’autres mollusques,  surtout quand le chasseur tombe sur un «nid». Pas besoin d’être à l’affût ni de sortir son fusil pour les stopper. Il suffit de se baisser pour les ramasser délicatement par la coquille.

Régime orties et eau fraîche
Les bons jours, le chasseur en récolte des centaines. «Cette année, de la mi-avril à la mi-mai, quand l’herbe est encore basse, j’en ai capturé 1600, compte-t-il. Ensuite j’arrête, et je me concentre sur la cueillette de champignons.» Puis l’hiver, les escargots disparaissent. Ils s’enterrent, ferment l’entrée de leur coquille avec un couvercle, s’isolant du monde extérieur et surtout de la baisse des températures jusqu’au retour des beaux jours.
À chaque sortie, Eddy Redard note scrupuleusement les secteurs qu’il a écumés et n’y retournera pas les trois années suivantes. «Chacun a son éthique, la mienne est de laisser les escargots grandir, ajoute le quinquagénaire. Si j’en trouve un en train de couver par exemple, je ne le prends pas, même s’il a la mesure.»  Après ces longues et parfois fructueuses balades, reste une étape délicate: la préparation des escargots. Si une quinzaine de chasseurs livrent leurs récoltes au seul escargotier encore actif en Suisse, l’entreprise Fivaz à Vallorbe (VD) connue pour ses escargots du Mont-d’Or, beaucoup apprêtent eux-mêmes leurs prises, ce qui demande beaucoup de savoir-faire et une bonne dose d’expérience.

Plus de quatre heures de cuisson
Entre deux chasses à l’escargot, jusqu’à ce qu’il estime en avoir suffisamment cueilli, Eddy Redard garde ses prises vivantes dans sa maison. «Je les stocke chez moi environ trois semaines, dans la pénombre, explique Eddy Redard. Je les arrose tous les deux jours et les nourris avec des orties. Ils sont voraces! En une nuit, ils mangent généralement tout.» Il ne faut pas oublier de refermer les caisses à chaque fois, au risque de retrouver des hôtes indésirables dans son salon quelques jours plus tard, se déplaçant silencieusement.
Puis, Eddy Redard consacre une matinée, avec son épouse et un couple d’amis, à les transformer, un travail à la chaîne aujourd’hui bien rodé. Après une semaine de jeûne, les escargots sont enfin prêts à être préparés, après avoir été nettoyés au jet. Il faut d’abord les ébouillanter quelques minutes, puis les sortir de la coquille un à un, enlever les boyaux de leur tortillon. Puis les escargots sont nettoyés une dernière fois à l’eau avant d’être plongés dans un bouillon, dont la recette reste secrète. Ils y mijoteront pendant des heures, l’étape clé de leur transformation: «Les cuire prend entre quatre et six heures, poursuit Eddy Redard. Si on les laisse dans l’eau bouillante trop longtemps, ils deviennent caoutchouteux.»
Une fois refroidis, ils sont empaquetés par lot de deux douzaines, puis mis au réfrigérateur. Ils seront ensuite dégustés en feuilletés ou recouverts de beurre aux herbes maison en apéro, en famille ou avec des amis. Après la trêve hivernale, la chasse reprendra au mois d’avril prochain.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): François Wavre/Lundi13

Une pratique interdite dans plusieurs cantons

La chasse à l’escargot n’est pas autorisée partout en Suisse romande. Dans les cantons du Jura, de Berne et de Fribourg, cette pratique est interdite pour protéger ces gastéropodes. À Genève, on peut ramasser les escargots des vignes et les petits-gris, sauf entre le 15 mars et le 15 juillet. Dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, seuls les détenteurs d’un permis valable un an peuvent chasser les escargots de Bourgogne, mais pas n’importe lesquels. 
Ils doivent prélever uniquement les spécimens ne passant pas à travers une bague de 
35 mm de diamètre. Si la circonférence de leur coquille est plus petite que cela, ils doivent les relâcher sans les abîmer. En Valais, le ramassage est autorisé mais limité à 10 kg par personne et par jour. Ce canton interdit en revanche la commercialisation de sa récolte.