Science
Les concepteurs de robots ont tout à apprendre du monde animal

Créer des robots en s’inspirant de la morphologie des animaux, c’est le travail du laboratoire de biorobotique de l’EPFL. Ses bijoux de technologie permettent d’approfondir nos connaissances en matière de locomotion et pourront effectuer de nombreuses tâches.

Les concepteurs de robots ont tout à apprendre du monde animal

Une salamandre géante se déplace en ondulant  souplement. Rapide et silencieuse, elle progresse sur le goudron puis dans les herbes hautes, fait demi-tour et s’arrête juste devant nos pieds. Bien sûr, son aspect la trahit: longue de plus d’un mètre, bardée de composants électroniques, cette salamandre n’est pas un vrai animal. Mais sa façon de se mouvoir nous aurait presque fait en douter.
Le robot s’appelle Pleurobot, référence au pleurodèle, un triton dont les chercheurs ont reproduit le mode de locomotion. Comme son nom l’indique, le laboratoire de biorobotique repose sur la rencontre de la biologie et de la robotique, du naturel et de l’artificiel. «Nous avons étudié puis reproduit les mouvements d’un triton filmé par une caméra à rayons X, raconte le professeur Auke Ijspeert, à la tête du labo de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Ce qui nous intéresse, c’est de comprendre la fonction de la moelle épinière dans la motricité des animaux.»

Moelle épinière artificielle
Les scientifiques l’ont bien compris, les muscles peuvent agir sans en avoir reçu l’ordre du cerveau. Un exemple? «Le poulet qui court alors qu’on vient de lui couper la tête, souligne Auke Ijspeert. Ce n’est plus le cerveau qui ordonne aux pattes de bouger, mais bien la moelle épinière qui, avec ses réseaux de neurones, constitue le véritable ordinateur de bord de la locomotion. Nous fonctionnons de la même manière: si notre cerveau devait indiquer à chaque muscle le moindre mouvement, nous serions incapables de courir ou de jouer au tennis…»
Si la robotique vient à la rescousse des neurologues, c’est parce qu’elle permet de tester ces théories en grandeur nature et d’obtenir des données qu’il serait impossible d’analyser sur un être vivant. D’où le choix de reproduire des animaux dont la constitution est la plus simple possible. «Les premiers essais ont porté sur la lamproie, un protovertébré qui nage comme une anguille, explique Auke Ijspeert. Nous avons réalisé qu’il suffisait de stimuler sa moelle épinière pour contracter les muscles. Pour faire simple, le rythme des impulsions électriques décide de la vitesse de ses ondulations, et donc de son déplacement.» Plus complexe, mais reposant sur le même principe, Pleurobot représente la deuxième étape de ces recherches de longue haleine: cela fait trois ans que le robot, construit grâce à une imprimante 3D, est en développement. Le choix de la salamandre ne doit rien au hasard: «C’est un animal clé dans l’évolution de la motricité, proche de l’ancêtre de tous les vertébrés terrestres. Il faut commencer par là avant d’espérer maîtriser des systèmes plus complexes.»
Si les expériences du labo de biorobotique intéressent les neurologues, elles ouvrent également de nouvelles perspectives pour les constructeurs de robots. En effet, tous les mouvements qui sont effectués par simple stimulation du microcontrôleur qui joue le rôle de moelle épinière sont autant de tâches en moins à gérer par un ordinateur. De quoi permettre aux robots de gagner en rapidité et de perdre du poids.

Aussi souple qu’un chat
Outre la transmission des informations par la moelle épinière, les scientifiques s’inspirent bien sûr des caractéristiques physiques des animaux. «Nous avons beaucoup à apprendre de la nature, note Auke Ijspeert. Un chat court avec une fluidité fascinante.» Des mouvements impossibles à réaliser pour un robot? Pas selon le professeur lausannois. Loin des gestes saccadés et grinçants des machines de films de science-fiction, les robots de demain seront souples et silencieux, à l’instar du petit dernier du labo: Cheetah-Cub. Il ne miaule pas, mais se déplace avec l’aisance d’un chat. Là encore, les chercheurs ont imité le squelette et le système musculaire d’un félin, qui lui procure naturellement élasticité et équilibre. «Du coup, le robot s’autostabilise et absorbe les chocs du simple fait de sa construction.»
En parallèle de ses recherches, Auke Ijspeert a à cœur de donner une raison d’être à ses robots. Exploration, lutte contre la pollution, mise en  lumière de la motricité des premiers animaux terrestres ou encore création d’exosquelettes pour paraplégiques, les débouchés sont innombrables. À la croisée des sciences, la biorobotique a encore bien des réponses à nous apporter.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): Clément Grandjean

Biorobotique

Les créatures du labo ont chacune leur mission

Amphibot

Biorobotique, 9 juin 2016; Amphibot

C’est l’actualité du moment: Amphibot, le premier robot né dans le labo lausannois, sera utilisé en tant que détecteur de pollution aquatique. Peu encombrant, ce robot nageur peut être équipé de capteurs interchangeables en fonction des produits à détecter. Ses mouvements d’oscillation brassent moins l’eau qu’une hélice. Le prochain objectif? Le rendre totalement autonome, pour qu’il cherche tout seul la source de pollution sur un plan d’eau. Plus d’infos (en anglais)

Pleurobot

Biorobotique, 9 juin 2016; Pleurobot

Le grand avantage de la salamandre robotisée, c’est sa polyvalence: muni de caméras et de micros, piloté à distance, Pleurobot peut à la fois marcher et nager. Auke Ijspeert espère en faire un allié des équipes de secours en cas de catastrophe: «Il peut se glisser sous les décombres pour aller à la recherche de survivants, ou encore pénétrer dans un bâtiment qui menace de s’écrouler. Un jour, Pleurobot épaulera les chiens de sauvetage.»

Cheetah-Cub

Biorobotique, 9 juin 2016; Cheetah-Cub

Ce bijou de technologie doit sa souplesse à sa structure calquée sur le corps d’un félin: ses pattes en forme de pentagraphe, légères et flexibles, lui permettent de garder son équilibre en toutes circonstances. Ce qui en fait l’un des robots les plus rapides du monde. Les prototypes lausannois sont capables de trotter à toute allure et de descendre des marches. Il n’a pas volé son petit nom de «Cheetah», le nom anglais du guépard.

Roombots

Biorobotique, 9 juin 2016; Roombots

Des meubles qui se déplacent tout seuls dans la maison, impossible? Que dire alors de ceux qui changent de forme, d’une chaise devenant une table en quelques secondes? Et pourtant, c’est le nouveau pari du labo d’Auke Ijspeert: les Roombots sont des éléments modulables autonomes qui se tournent, s’accrochent ou se désolidarisent selon vos désirs. Comme des atomes qui s’assembleraient pour former diverses molécules.

Bon à savoir

Comment sont-ils sortis de l’eau?

Si les mouvements d’oscillation de la salamandre passionnent les scientifiques, c’est parce que cette motricité était celle des premiers vertébrés terrestres, il y a 300 millions d’années. Adaptée aussi bien à la nage qu’à la marche, elle leur a permis de se hisser sur la terre ferme. Mieux comprendre ce mode de déplacement permettra aux paléontologues d’en savoir plus sur ce tournant décisif mais encore mal connu de l’évolution.