énergies renouvelables en Europe 1/5
Le plus puissant parc solaire d’Europe se cache dans une pinède de Gironde

Le premier volet de notre série sur les énergies renouvelables nous emmène à la découverte du plus puissant parc solaire d’Europe, à Cestas, en France. Il alimente en électricité une ville de la taille de Bordeaux.

Depuis décembre dernier, la France dispose du parc photovoltaïque le plus puissant d’Europe. C’est au milieu des pinèdes de Gironde, entre Bordeaux et le bassin d’Arcachon, qu’il a vu le jour en dix mois à peine. Les pins ont fait place à une forêt de pieux métalliques s’étendant sur 250 hectares, l’équivalent de 350 terrains de football! Si, sur le papier, la centrale photovoltaïque maousse et son million de panneaux solaires ont de quoi donner le tournis, sur place, le site a plutôt l’air… modeste.

Les automobilistes longeant la centrale ignorent souvent l’importance des lieux. C’est en prenant de la hauteur, comme lors de l’atterrissage ou du décollage de l’aéroport de Bordeaux Mérignac, que l’on se rend véritablement compte de son gigantisme: les rayons du soleil capturés ici par des millions de cellules photoélectriques – convertissant l’énergie lumineuse en électricité – permettent d’alimenter une ville de la taille de Bordeaux, soit 240 000 habitants. «Cette centrale solaire peut monter à la puissance maximale de 300 mégawatts (MW), soit autant qu’un tiers de la production d’un réacteur nucléaire ou qu’un parc de 150 éoliennes», détaille fièrement Guilhem de Tyssandier, responsable du projet pour le producteur d’énergies renouvelables Neoen. Ses performances la classent aujourd’hui au cinquième rang des parcs solaires les plus puissants du monde. De quoi faire passer la centrale photovoltaïque de Payerne (VD), la plus efficiente de Suisse, pour un petit Poucet avec sa production 50 fois inférieure.

Sur les traces du soleil
Inaugurée le 1er décembre 2015, cette centrale, érigée par Neoen, Eiffage, Schneider Electric et Krinner, est entièrement privée. Pour être certaines que leur parc, dans lequel elles ont investi 360 millions d’euros (401 millions de francs), fonctionne immédiatement, ces entreprises ont misé sur des techniques éprouvées, après avoir trouvé l’emplacement idéal, une pinède ensoleillée près de Cestas, loin des habitations, mais proche des pylônes de la ligne à très haute tension reliant Bordeaux à Arcachon.

Au premier coup d’œil, l’orientation des panneaux photovoltaïques de cette centrale, fabriqués en Chine, étonne. Ici, les tables sur lesquelles ils sont fixés ne sont pas orientées vers le sud, mais à l’est et à l’ouest. Une orientation qui leur permet de suivre la courbe du soleil de l’aube au crépuscule. Cette technique permettrait aux panneaux d’être deux fois plus productifs par hectare que dans les autres parcs, en commençant à générer de l’électricité plus tôt le matin, jusqu’aux derniers rayons du soir. Même si le jour de la visite, le soleil peine à percer les nuages. Les panneaux, qui se suivent et se font face sur des kilomètres, ne fonctionnent qu’à un quart de leur puissance maximale. «Cette disposition nous a permis de rentabiliser l’espace, explique Guilhem de Tyssandier, de Neoen. Nous voulions utiliser une technologie connue et être certains que nos fournisseurs puissent répondre à notre demande pour que la centrale fonctionne tout de suite, tout en utilisant un montage innovant.» Une fois les pins rasés – une surface d’arbres équivalente a été plantée ailleurs dans le département – le montage a pu commencer. Il a été réalisé avec des machines automatisées, définissant chaque emplacement des 16 544 tables à l’aide de données GPS précises. La profondeur d’enfoncement des vis était quant à elle mesurée au millimètre près grâce à un rayon laser. Une fois profondément arrimées dans le sol sablonneux de Gironde, les vis en acier de plus de 3 mètres de long peuvent résister au vent, même aux bourrasques à 140 km/h enregistrées en ce début d’année dans la région. Il a ensuite suffi de glisser les panneaux, résistant à la grêle, dans des cadres en aluminium, les uns après les autres, comme un gigantesque Meccano.

À l’apogée du chantier, plus de 250 ouvriers œuvraient sur le site, installant jusqu’à 15 000 panneaux par jour! Et ce sans utiliser une goutte de béton. Les constructeurs avaient même pensé à préserver le terrain, drainé au préalable, en n’utilisant que des véhicules équipés de chenilles pour éviter la création d’ornières. Le chantier n’a finalement duré que dix mois. «Il n’y a eu aucune opposition de la part des voisins, note Guilhem de Tyssandier. Le solaire, silencieux, est mieux accepté que d’autres énergies renouvelables.»

Un papillon comme locataire
Depuis que les machines ont quitté le site, plus aucun bruit ne s’échappe de la structure, protégée par d’imposants grillages. Seuls les renards, les fouines et les couleuvres peuvent s’y balader à leur guise. Pour s’orienter dans ce vaste parc, un réseau routier de 20 kilomètres a été créé, permettant aux employés de se déplacer rapidement dans cette forêt de panneaux. Il dessert les vingt-cinq «petites centrales» de 12 MW composant le site, reliées par une toile de 5000 km de câbles, aériens et souterrains. Les pistes mènent aussi à une zone humide préservée de 5 hectares dans le périmètre de la centrale. Cette zone neutre, une concession écologique, a permis d’assurer la survie d’un papillon protégé, le fadet des laîches.

Le long des routes, les panneaux se suivent à perte de vue, formant un miroir gigantesque. S’ils paraissent tous semblables au premier coup d’œil, chacun d’entre eux est identifiable grâce à un code-barre personnel. «Si on constate une baisse de productivité dans un secteur, on arrive facilement à trouver d’où vient le problème», raconte Guilhem de Tyssandier. Le courant généré par les cellules est centralisé dans des coffrets de raccordement. Ces derniers sont reliés à des «PV-Box» (pour «photovoltaïque box»), de la taille d’un conteneur maritime. «Les onduleurs transforment ici le courant continu en courant alternatif», détaille le responsable du projet. L’électricité est ensuite envoyée au poste à haute tension à l’entrée du parc, grâce à un réseau passant à 1 m de profondeur sous nos pieds. C’est le véritable cœur de la centrale. On y trouve le transformateur.

L’accès y est strictement interdit pour des raisons de sécurité, de vie et de mort tant la tension électrique y est importante. Pour entrer dans ce périmètre, les employés doivent signaler leur présence, en actionnant un minigyrophare. À l’intérieur de ce bâtiment sans fenêtre, les serveurs se suivent, de multiples cadrans indiquent la production du site. L’électricité créée dans le parc solaire est ensuite injectée sur la ligne du réseau de transport d’électricité (RTE) Bordeaux-Arcachon, d’une puissance de 225 000 volts. Passant à 1 km du parc, le RTE a pour mission d’équilibrer la production et la consommation d’électricité des industries et des habitants en France, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Une maintenance préventive
Aujourd’hui, il n’y a besoin que de sept personnes pour gérer l’immense site de Cestas. L’équipe assure surtout le suivi de la production et la maintenance du parc. «Une centrale solaire demande beaucoup de personnel pour la construction, mais ensuite il suffit d’une petite équipe pour assurer un suivi préventif, ajoute Guilhem de Tyssandier. Elle vérifie notamment si les panneaux ne sont pas endommagés en utilisant un drone équipé d’une caméra thermographique qui les survole.»

S’il faut bien tondre l’herbe poussant à l’ombre des panneaux – une tâche demandant plus de deux mois de travail à deux employés qui pourraient être à terme remplacés par des moutons – les panneaux nécessitent en fait de peu d’entretien. Leur durée de vie est estimée à près de trente ans et, pour l’heure, ils n’ont pas encore eu besoin d’être nettoyés. Une machine a toutefois été créée sur mesure, pouvant effectuer rapidement cette tâche, au cas où. «Au final, le coût de production d’électricité avec de l’énergie solaire, qui baisse beaucoup depuis cinq ans, est plus bas que celui des réacteurs nucléaires actuellement en construction en France», estime Guilhem de Tyssandier.

Ces derniers mois, Neoen a fait du parc solaire de Cestas sa carte de visite. L’entreprise estime qu’il est aujourd’hui possible de produire de l’énergie solaire au même prix que l’éolien et prévoit un retour sur investissement dans une douzaine d’années. L’astuce est selon elle d’installer ces centrales photovoltaïques au sol et non en toiture, contrairement à ce qui se fait en Suisse. Cela permettrait de réduire les coûts d’installation de panneaux photovoltaïques de moitié. «Ce parc est important en termes d’image, il montre que l’on sait construire de telles installations, facilement duplicables», poursuit Guilhem de Tyssandier. À ses yeux, il n’y a pas de doute, «d’ici à 2050, au moins 25% de l’énergie consommée en France sera issue du soleil».

Pour y parvenir, encore faut-il être compétitif en vendant ce courant vert à un prix défiant la concurrence. Surtout celle des énergies fossiles, dont le prix ne fait que baisser. La centrale de Cestas y est pour l’heure parvenue, en concluant un accord avec EDF (Électricité de France). Le premier fournisseur d’électricité du pays a accepté de jouer le jeu en assurant d’acheter à bas coût, soit 105 euros le mégawattheure (117 francs), l’énergie qui y est créée pendant vingt ans, une durée confortable. D’ici là, la centrale de Cestas aura sûrement reculé de quelques rangs au niveau mondial. La Chine et, plus près de nous, le Maroc construisent actuellement de colossaux parcs solaires sur leur territoire.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): © Guillaume Mégevand/GimballProd

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Plus d’informations sur le site internet de l’entreprise française Neoen.