Jardin
Le géranium, venu d’Afrique du Sud, a su conquérir les balcons suisses

Fièrement alignés dans des bacs, les géraniums égaient les façades des fermes et des monuments officiels, contribuant à la renommée de notre pays. Or, comme le montre une exposition au Musée alpin de Berne, cette plante n’est de loin pas qu’un emblème helvétique.

Le géranium, venu d’Afrique du Sud, a su conquérir les balcons suisses

Du fin fond de la campagne appenzelloise aux balcons de la capitale, le géranium est partout. Amenant une touche de couleur aux façades en bois ou en molasse, la fleur aux pompons rouges, blancs ou roses joue un grand rôle dans l’embellissement des cités suisses. Or la population ignore tout de l’histoire de cet emblème national, auquel plusieurs musées bernois consacrent une exposition cet été. Après la visite, vous ne verrez plus ces plantes en pot du même œil. «À Berne, par exemple, cette fleur est très populaire et omniprésente, raconte Beat Hächler, directeur du Musée alpin suisse et coauteur du livre Unser Geranium. Mais son histoire est méconnue. Il était de notre devoir de la présenter, en nous questionnant sur les éléments que l’on pense être typiquement suisses.»

Bon pour le moral
En effectuant leurs recherches, les musées ont rapidement mis un terme au principal mythe entourant ce végétal: sa provenance n’a en fait rien de suisse, ni d’européen d’ailleurs. C’est en Afrique du Sud que la première fleur sauvage de cette espèce a été cueillie par un médecin allemand, dans les montagnes du Cap en 1672. L’histoire du géranium venait de prendre un virage radical. Robuste, le plant de ce Geranium africanum a survécu à une traversée des océans qui a duré des mois, dans la cale d’un navire hollandais. Une fois arrivée à destination, aux Pays-Bas, cette nouveauté botanique a rapidement colonisé les carrés des universités. Puis elle se fait une place dans les jardins d’érudits, sur les balcons des familles bourgeoises d’Europe et de Suisse, au cours du XVIIIe siècle. Des entreprises d’horticultures commencent à décliner cette fleur en plusieurs variétés, à jouer sur les couleurs, la rendant encore plus populaire. Elle fait finalement son apparition sur les façades en molasse de Berne aux alentours de 1900.  «Le succès des géraniums en Suisse est en fait assez récent, remarque Beat Hächler. Il est devenu un véritable phénomène pendant les deux guerres mondiales.»
Ses nombreuses qualités – il fleurit et refleurit à gogo – mais aussi son entretien facile, son faible coût et sa robustesse en font l’ami des jardiniers, professionnels et amateurs. «C’est la plante idéale, combinant raison et émotion, que l’on peut en plus bouturer soi-même. Elle a beaucoup de qualités que l’on aime ici en Suisse», commente le directeur du Musée alpin. Alors que la crise des années 1930 pèse sur le pays, le géranium a toujours le vent en poupe. On compte sur lui pour mettre de la couleur dans le marasme ambiant. En 1937 une association bernoise, le Ver­schönerungsverein, mise sur lui pour favoriser «l’embellissement de la ville, la relance de l’économie, la création d’emplois, la stimulation du tourisme et l’organisation et la réalisation de certaines manifestations». Un an plus tard, les fleurs envahissent la capitale, des cortèges d’écoliers sont organisés autour du symbole. Même les temps de guerre ne parviendront pas à freiner son essor.

Véritable success-story
Les citoyens se l’approprient, décorant leurs fermes à colombages de l’Emmental ou leurs chalets dans  le Haut-Valais avec des géraniums, faisant de ce migrant un emblème national, en bonne place sur les cartes postales. En 1957, la ville de Berne lance même un marché qui lui est réservé, le Graniummärit. La création d’un bac à fleurs en Eternit, dessiné par le designer Willi Guhl, complétera son ascension, le rendant exposable facilement et avec style sur les balcons des immeubles, mais aussi sous les panneaux d’entrée des villages et dans les gares du pays. Puis, en 1984, c’est la consécration: Berne est élue Plus belle ville florale d’Europe. Le succès du géranium n’a plus faibli depuis. Quand La Poste choisit cette fleur rouge pour égayer l’un de ses timbres en 1963, elle parvient à écouler 40,5 millions d’exemplaires, un record absolu. Grimentz (VS)  profite aussi de la notoriété du géranium autour duquel elle a créé un sentier, alors que Zermatt ne pourrait plus s’en passer pour embellir ses hôtels. Et elles ne sont de loin pas les seules bourgades à le faire, comme l’a découvert Beat Hächler.
«La plus grande surprise est que notre plante nationale est en fait un symbole de la mondialisation, ajoute-t-il. On en retrouve en Allemagne, en Bulgarie, en Afrique du Sud et même en Amérique du Sud. Quito, capitale de l’Équateur, se décrit par exemple comme LA ville du géranium et organise de grands cortèges, comme ceux qui ont eu lieu chez nous dans les années 1930. Le géranium est devenu un citoyen du monde, ayant réussi à faire de tous les pays sa patrie. Avec son histoire, cette fleur véhicule un message positif pour l’ensemble du monde globalisé.»

Cultivés au chaud
Pour faire face à ce succès, sa production n’a aujourd’hui plus rien de local, ni d’artisanal. Des entreprises spécialisées cultivent ces plants au chaud (entre 20 et 25 degrés) en Éthiopie, au Kenya ou en Ouganda pour répondre à la demande mondiale, développant des milliers de variétés pour contenter tous les adeptes de cette star des jardins. Des millions de géraniums y sont produits par année, avant d’être acheminés aux Pays-Bas ou en Allemagne, où des sociétés se chargent ensuite de les écouler sur l’ensemble de la planète, y compris en Suisse.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): DR

Sur nos balcons sous un faux nom

Qui l’eût cru: le géranium de nos bacs à fleurs est en réalité un usurpateur. Les fleurs rouges, blanches ou roses ornant nos balcons ne sont en fait pas des géraniums, mais des pélargoniums. Cette appellation scientifique, connue des botanistes et des jardiniers avertis, peine à supplanter le premier nom donné à cette plante il y a quatre siècles. Près de deux cents ans plus tard, les scientifiques s’étaient pourtant accordés pour diviser cette espèce en trois catégories en fonction du type de pétales (erodium, géranium et pélargonium), mais dans l’esprit des gens, seul le terme de géranium est resté, résume l’Observatoire du monde des plantes de l’Université de Liège. En Suisse, aujourd’hui encore, les horticulteurs et les fleuristes utilisent le nom de géranium pour vendre leurs pélargoniums.

Plus d'infos

L’exposition GeraniumCity est visible à Berne jusqu’au 30 septembre au Musée alpin, au Jardin botanique, à la bibliothèque du Kornhaus et à l’Orangerie Elfenau. www.geraniumcity.ch