énergies renouvelables en Europe 2/5
En Finlande, les déchets forestiers se changent en électricité et en chaleur

Nous poursuivons notre série sur les énergies renouvelables avec la plus grande centrale de combustion de biomasse du monde. À l’ouest de la Finlande, Alholmens Kraft change la matière végétale en énergie.

En Finlande, les déchets forestiers se changent en électricité et en chaleur

Dans un grondement, un immense poids lourd fonce sur la route gelée. Aussi bien le camion que la remorque sont chargés à ras bord de troncs d’arbres. Ses pneus cloutés crissant sur la neige, le convoi disparaît au détour d’un virage, laissant dans son sillage une odeur de bois fraîchement coupé. En Finlande, le printemps est encore loin. La température est glaciale et les arbres encore décharnés. Nous sommes à Pietarsaari, sur les rives du golfe de Botnie. Il a fallu monter plein nord depuis Helsinki sur 500 km de routes enneigées pour atteindre ce gigantesque complexe industriel nimbé d’un nuage de vapeur. Pour y entrer, nous devons montrer patte blanche puis enfiler gilet et casque fluorescents. Nous voici dans l’enceinte sécurisée d’Alholmens Kraft, la plus puissante centrale de production de chaleur et d’électricité du monde à fonctionner au moyen d’un carburant d’origine végétale.

À la fois chaleur et électricité
Implantées dans un paysage côtier battu par les vents, les infrastructures donnent le vertige: la centrale est organisée autour d’une chaudière de cinquante mètres de haut. Cela fait quinze ans que ce poêle à bois géant a été construit. «Il s’agit d’une centrale de cogénération, explique Roger Holm, directeur d’Alholmens Kraft. C’est-à-dire qu’elle permet de produire à la fois de la chaleur et de l’électricité.» Le matériau de base? Des déchets de bois rejetés par des entreprises forestières et des usines de production de papier, nombreuses dans la région de Pietarsaari. À l’instar d’UPM, l’un des plus grands papetiers du monde, qui est installé à deux pas de la centrale et en est l’un des principaux actionnaires. Il n’y a rien d’étonnant à cela: historiquement, le développement des centrales de cogénération est intimement lié à l’industrie papetière. Grandes consommatrices d’énergie, ces usines produisent aussi quantité de déchets. Dès le début du XXe siècle, ces restes de bois sont utilisés pour produire du courant électrique et de la vapeur, qui chauffe les rouleaux destinés au pressage du papier. C’est encore le cas aujourd’hui, même si de nouvelles technologies permettent à la centrale d’Alholmens Kraft de créer bien plus d’énergie que n’en utilise l’usine voisine.

Sortant de son bureau, Roger Holm grimpe un escalier métallique pour gagner une terrasse qui domine le complexe. Une bourrasque glaciale venue de la mer Baltique toute proche claque violemment la porte derrière nous. En contrebas, les gigantesques tas de bois s’étendent sur des centaines de mètres carrés. Minuscules, les camions ont l’air de jouets. «Souches et branches sont directement déchiquetées, résume Roger Holm. Les troncs, eux, passent d’abord par l’usine de production de papier, qui en utilise la pulpe. Nous récupérons ensuite l’écorce.» Une fois réduit en copeaux, le bois tombe dans une vis sans fin qui l’emporte dans la centrale.

La terrasse sur laquelle nous nous tenons est justement située à l’emplacement où les longs tapis roulants rejoignent le brûleur. Au-dessus de nos têtes, ils déversent les copeaux dans l’un des quatre silos à combustible. Le bois n’est pas le seul matériau utilisé pour la production d’énergie: «Nous complétons l’apport en déchets forestiers avec de la tourbe, explique le directeur. Il faut également ajouter de faibles quantités de charbon, ainsi que le pétrole qui est indispensable pour lancer la combustion.» Depuis les silos, la biomasse est alors déversée dans la chaudière.

Plus de 1000 degrés
Dans le brûleur, les déchets végétaux sont chauffés à 1150 degrés. Tout autour de l’immense installation ornée de dizaines de manomètres, de la vapeur circule dans des tubes métalliques. C’est elle qui permet la transition entre chaleur et courant électrique en actionnant une turbine de proportions monumentales. Pour la vapeur, le parcours n’est pas fini: après avoir traversé les trois hélices de la turbine, elle réchauffe toute la ville de Pietarsaari au moyen d’un réseau de chauffage à distance, et est aussi utilisée par les industries voisines. Lorsque la centrale d’Alholmens Kraft fonctionne à plein régime, il faut sans cesse l’alimenter: «La consommation maximale nécessite l’équivalent de 240 camions-remorques de bois par jour», dit Roger Holm. Malgré la consommation du brûleur, il en faudrait plus pour menacer les forêts finlandaises: «Trois quarts du pays sont couverts de forêt. Elle croît chaque année de 100 millions de mètres cubes, alors que l’industrie en utilise entre 65 et 70 millions.»

Renouvelable, mais jusqu’où?
Grâce à une ferme volonté politique de réduire la part des sources d’énergie fossiles dans la production électrique finlandaise, les installations de biomasse ont connu un important essor au début des années 2000. Leur principal avantage par rapport aux autres énergies renouvelables est leur capacité d’assurer une production constante indépendamment des conditions climatiques. Cette politique a porté ses fruits, puisque la Finlande tire aujourd’hui un quart de son électricité et 40% de son chauffage de sites de cogénération. Fin 2012, le pays a franchi un pas symbolique: depuis lors, son électricité est majoritairement issue de sources renouvelables. Néanmoins, l’exploitation de la biomasse à grande échelle suscite le débat. Si l’Union européenne reconnaît dans son programme sur les biocarburants solides le fait que les ressources forestières constituent une source d’énergie renouvelable à moyen terme, l’utilisation de tourbe dans la chaudière est plus problématique. «La tourbe est un combustible qui se renouvelle lentement, reconnaît Roger Holm. Mais c’est un biocarburant très pratique en combinaison avec le bois. Nous sommes propriétaires de 1300 hectares de tourbières dont la gestion durable est certifiée.»
L’autre point sensible des biocarburants solides, c’est la question des rejets. Car qui dit combustion dit émission de particules fines. Soumise à des normes sévères, qui se sont encore durcies en ce début d’année, la centrale de Pietarsaari est équipée de plusieurs installations destinées à maîtriser l’impact des fumées. La très haute température du brûleur, d’abord, puis un système de filtre électrostatique qui sépare le gaz des poussières. La composition des fumées qui s’échappent de la haute cheminée est analysée en permanence.

Un marché sans pitié
Redescendant dans la centrale, Roger Holm nous fait pénétrer dans une pièce dont les murs sont couverts d’écrans. C’est la salle de contrôle. Chef d’équipe, Antti Rauhala surveille les moniteurs: d’un œil, il voit défiler en temps réel les tapis roulants couverts de copeaux, de l’autre il est attentif à la température du brûleur. Soudain, une alarme stridente retentit. «Ce n’est rien, rassure le technicien. Juste une légère baisse de pression.» Des alertes de ce genre, les quatre employés présents 24 heures sur 24 en entendent une centaine par jour. Il suffit en général de quelques manipulations pour régler le problème. Dans la salle de contrôle, on ne fait pas que réagir aux alarmes. On gère surtout la proportion de bois, de tourbe et de charbon qui sont injectés dans le brûleur. Le choix est fait selon une réflexion purement économique: «Nous adaptons en permanence la part de chaque matériau en fonction des prix du marché, dit Roger Holm. C’est le seul moyen de maintenir des tarifs compétitifs.» L’autre paramètre, c’est le prix de l’électricité. Car sur le marché nordique, la concurrence fait rage. La plus forte pression vient de l’éolien, qui connaît un vrai boom depuis 2010 en Finlande: «Les parcs éoliens sont subventionnés, remarque Roger Holm. Ils peuvent écouler leur électricité à un prix fixe bien supérieur aux tarifs du marché, ce qui attire les investisseurs. Leur matière première est gratuite, la nôtre non.» Depuis cinq ans, la situation se dégrade pour Alholmens Kraft, la taille monstrueuse du complexe ne correspondant plus à la flexibilité des autres acteurs du marché de l’énergie. Dès les beaux jours, elle ne fonctionne plus qu’à la moitié de sa puissance, de peur de produire une électricité qu’il serait impossible de vendre. Les perspectives d’avenir sont un sujet sensible: «Nous étudions différentes options», répond, laconique, le directeur. Bien sûr, il faudra toujours exploiter les déchets forestiers. Mais dans le domaine des énergies renouvelables, il n’est pas si facile de rester à la pointe du progrès.

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): © clément grandjean

en chiffres

La centrale d’Alholmens Kraft, c’est:

  • 800 000 tonnes de combustible consommé en 2015.
  • 240 MWh, la puissance de la turbine.
  • 1300 GWh d’électricité produits par an
  • Soit la moitié de la puissance de la centrale nucléaire de Mühleberg (2940 MWh).
  • L’équivalent de la consommation annuelle de 90 000 ménages.
  • 700 GWh d’énergie produits sous forme de chaleur par an.
  • 43 employés sur le site de Pietarsaari.
  • 200 à 300 emplois générés pour l’approvisionnement en biomasse.

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Pour visiter la centrale d’Alholmens Kraft, il vaut mieux ne pas être sujet au vertige. L’infrastructure est tout entière bâtie autour du brûleur, qui mesure 50 mètres de haut. Depuis la terrasse extérieure, on domine des centaines de mètres carrés de bois, qui attend d’être brûlé dans la chaudière. Malgré la productivité de la centrale, son directeur Roger Holm s’inquiète pour son avenir.